Inclure la génomique dans sa conduite de troupeau
Le génotypage fournit une connaissance approfondie de la valeur génétique de l’animal. La valeur génétique, traduite en index, est plus précise. Les index génomiques ont en effet un CD (coefficient de détermination, représentant la fiabilité de l’index) deux fois supérieur aux CD des index sur ascendance. L’analyse est réalisée à partir d’une biopsie du cartilage de l’oreille ou par prise de sang.
Le génotypage a également l’avantage d’être le seul moyen de connaître les index fonctionnels comme le tempérament à la traite, la vitesse de traite, la santé mamelle ; et certains gènes d’intérêts (gène sans corne, mortalité précoce, tête rouge, dépigmentation…).
Le coût actuel du génotypage, réduit grâce à sa démocratisation depuis un dizaine d’années, permet d’obtenir un retour sur investissement intéressant, généré d’une part par le progrès plus rapide du troupeau sur les critères propres à chaque éleveur (lait, taux, cellules, longévité…) et d’autre part par l’économie réalisée sur l’élevage des génisses, le coproduit « viande » généré par l’insémination des vaches de moindre intérêt en croisement industriel.
Cette année, EVA JURA a organisé deux journées en élevage autour de la thématique du génotypage. A cette occasion, nous avons exploré les résultats de génotypage des troupeaux, en comparaison des résultats de production, de la morphologie des animaux…
Une stratégie économiquement gagnante … à condition d’utiliser les résultats de génotypage
Le génotypage représente un coût de 34,55 €/animal chez EVA JURA. Si cela peut paraître une charge supplémentaire parmi les frais d’élevage, l’utilisation pertinente des données de génotypage pour la gestion du troupeau s’avère gagnante économiquement.
- Un plan d’accouplement plus efficace
La qualité de l’accouplement sera meilleure avec une vache génotypée car l’index génomique étant plus précis que sur ascendance / performance, les points forts et faibles de l’animal seront définis plus finement. L’index génomique apporte également des informations exclusives, comme le statut de l’animal sur certains gènes d’intérêt type mortalité précoce : cela permet d’éviter l’accouplement de deux animaux porteurs d’allèles délétères sur un gène par exemple.
Selon les critères de sélection de l’éleveur, le gain économique d’un progrès génétique plus rapide sera différent, mais toujours présent. Des exemples sont chiffrés plus bas dans l’article.
- Un tri des génisses précoce et efficace
Grâce aux index génomiques, il est possible de déterminer sans attendre les génisses à garder pour le renouvellement. Leur nombre sera d’autant plus restreint qu’elles pourront être inséminées avec des semences sexées femelles. Plus de génisses à trier, c’est d’abord une économie sur le coût du renouvellement (bâtiments, alimentation, main d’œuvre, une plus grande part de SAU libérée pour les cultures de vente) et/ou, en fonction des opportunités du marché, la possibilité de vendre davantage d’animaux de boucherie ou de reproduction. Cf Dossier de l’été 2023 « Coût d’élevage des génisses ».
Approche « budget partiel » de l’intégration de la génomique dans la gestion du renouvellement
Exemple d’un troupeau de 50 vaches avec un taux de renouvellement de 30%
Stratégie peu extrême : sur 50 vaches, les 15 meilleurs (vaches ou génisses) sont inséminées en semence sexée, les 15 moins bonnes en croisement viande. Les 20 vaches restantes sont inséminées en semence conventionnelle. Une stratégie plus extrême pourrait consister à augmenter les parts respectives de semences sexées et de croisement viande pour augmenter les effets décrits.
Pour conserver une marge de manœuvre, 20 génisses sont élevées pour obtenir 15 génisses de renouvellement. Les 5 génisses supplémentaires constituent une marge de manœuvre en cas d’accident, de mammite de pâture etc, et pourront être sinon, vendues. Les résultats génomiques constitueront une aide au choix de vente des animaux excédentaires.
Génotypage de 25 génisses laitières | 34.55 € x 25 | – 864 € |
Surcoût de la semence sexée sur les 15 meilleurs animaux | 30 € x 15 | – 450 € |
Moindre fécondité de la semence sexée (12 %)
Chiffrage de la mise en place d’une semence conv (même si normalement retours pris en charge) Et augmentation IVV en conséquence |
12% x 55 €/IA x 15 VL concernées
21 jours x 4 €/jour IVV x 15 VL concernées x 12% |
– 99 €
– 151 € |
Gain sur le produit veau des veaux croisés
(Groupes Coûts de production AOP secteur Nozeroy : différence entre prix moyen des veaux croisés BBB/Charolais/INRA et veaux Montbéliards = 107 €) |
15 x 107 € | + 1605 € |
Economie des charges opérationnelles d’élevage de 5 génisses (cf Dossier de l’été « Coût d’élevage des génisses ») | 982 € x 5 | + 4 910 €
|
TOTAL du gain économique hors progrès génétique | + 4 951 € |
Le programme OSIRIS (2013) a eu pour objet de chiffrer économiquement les gains génétiques sur les troupeaux. En voici un extrait, issu de la plaquette « La génétique, pari gagnant pour produire du lait à un coût maîtrisé » réalisée par France Génétique Elevage et l’Institut de l’Elevage :
Gain économique €/vache/an pour 1 point | Exemple sur un lot de 15 génisses de renouvellement avec longévité de 2.5 lactations dans le troupeau | |
ISU | + 5 €/vache/an | 188 € |
INEL | + 3 €/vache/an | 113 € |
Cellules | + 55 €/vache/an | 2 063 € |
Mammites cliniques | + 10 €/vache/an | 375 € |
Fertilité des génisses | + 20 € | 750 € |
Fertilité des vaches | + 60 € | 2 250 € |
Longévité | + 45 € | 1 688 € |
Le gain réalisé sur le progrès génétique sera donc variable d’une exploitation à l’autre, selon le point de départ et la trajectoire choisie.
Analyse croisée de données génomiques et de production réelle dans un élevage jurassien
Sur une exploitation support, génotypant tous les animaux, nous avons croisé les données des index avec les données réelles de production correspondant au même critère. Ces données de production ont été collectées sur la lactation de 305 jours et sur la même campagne laitière pour chaque animal (le rang de lactation est donc différent entre les animaux) afin de limiter l’effet « année » liée aux conditions climatiques par exemple. Sur chacun des graphiques ci-dessous, un point représente une vache du même élevage.
Les taux protéique et butyreux réels des animaux sont représentatifs de leurs index respectifs. Avec le paiement du lait à la qualité, d’autant plus dans les filières fromagères qui sont majoritaires dans notre département, la sélection sur les taux est gagnante économiquement. Le chiffrage dépendra de la situation actuelle du troupeau et de la moyenne coopérative qui conditionne souvent le paiement.
Les cellules représentent également un critère économique important sur la qualité du lait. Il faudra y être d’autant plus attentif si l’environnement de l’exploitation n’est pas favorable. L’index cellules est une donnée précieuse dans l’analyse précoce : en effet, à dire d’éleveurs et d’experts, sur le terrain, les animaux ayant des index cellules médiocres expriment souvent des comptages leucocytaires importants non pas sur leur première lactation mais ensuite. En élevant et en conservant ces animaux, l’éleveur prend le risque de voir le critère se dégrader dans la vie de l’animal. Un tri précoce est donc intéressant sur ce critère car la première impression lors de la première lactation peut être faussement réjouissante. Dans l’élevage concerné, les seuls animaux ayant montré un comptage leucocytaire moyen supérieur à 110 000 sur l’ensemble de la lactation 305 jours sont des animaux avec des index « Cellules » nuls ou négatifs.
La rapidité de remise à la reproduction après le vêlage est également un critère économique pertinent. L’index « Intervalle vêlage – 1ère IA » illustre cette qualité de l’animal. S’il existera toujours des paramètres dégradant ce critère (vêlage difficile, problème sanitaire, canicule au moment de la période propice…), le tri des animaux ayant un index très négatif sur ce critère est intéressant pour éviter les pertes économiques liées à la perte en lait sur la période donnée et éventuellement les frais sanitaires pour aider l’animal à venir en chaleur… sans compter le désagrément d’une vache décalée par rapport aux autres pour ceux qui recherchent des vêlages groupés.
Autre point intéressant, dans cet élevage, les quelques animaux présentant des index faibles (<90) en facilité de vêlage ont présenté des vêlages effectivement difficiles (source SYNEL selon déclaration de l’éleveur).
Dernier exemple : l’index « Vitesse de traite ». L’élevage considéré a bénéficié en Décembre 2022 d’une analyse de la traite avec des LactoCorder, réalisée par Romaric ROUX, animateur technique Qualité du lait. Ces appareils mesurent des données sur chaque vache pendant la traite pour établir les courbes d’éjection du lait. L’un des critères extraits de ces courbes est le « HMF », mesuré en kg/min, qui est le débit le plus élevé de la vache (mesuré pendant 20 sec) qui constitue un plateau sur la courbe d’éjection. Ce débit est caractéristique de la vitesse de traite de l’animal, indépendamment de la quantité de lait produite et donc de son stade de lactation. Ce critère nous a permis de comparer les animaux entre eux et à leurs index « Vitesse de traite » respectifs.
Pour les vaches avec un index vitesse de traite supérieur ou égal à 100, le débit de traite « HMF » moyen est de 4.0 kg/min (allant de 2.9 à 5.7). Pour le groupe avec un index de vitesse de traite inférieur à 100, le débit de traite « HMF » moyen est de 3.0 kg/min (allant de 2.0 à 4.0).
Pour conclure, comme on le constate sur les différents nuages de points, à index égal, il persiste des différences entre deux individus. L’expression réelle des données de production et de reproduction mais également de morphologie, est la conséquence du génotype et de l’environnement (comprenant un accident ou problème sanitaire sur un animal par exemple). Cependant, dans un même élevage, les tendances sont claires et les critères techniques sont notablement différents entre le groupe d’individus avec index bons et index médiocres. Sans oublier que le travail avec du vivant réservera toujours quelques surprises et cas particuliers, le génotypage permet donc de disposer de davantage de données pour gagner en rentabilité sur vos critères et asseoir plus efficacement la stratégie de sélection dans vos exploitations.
Valentine LAURES, Conseillère technique d’élevage
avec l’aide de Laurent MICHAUD, Inséminateur, Romaric ROUX, Animateur technique qualité du lait, et Maxime MERMETY, Responsable du pôle génétique
En complément, retrouvez le témoignage de Frédéric GOBY « Génotypage, l’outil qui devient indispensable », dans l’Eva Mag Services n°27.
Les commentaires