
Il n’est plus à démontrer que le pâturage des génisses peut avoir un effet très bénéfique sur leur croissance. En effet, l’herbe est un fourrage très équilibré en termes de valeurs alimentaires. Il permet aux génisses de gagner en croissance, voire, de compenser des croissances plus faibles en période hivernale où les fourrages distribués seraient de moindre qualité. C’est ce qu’on appelle la croissance compensatrice. Mais pour un résultat optimal, plusieurs conditions sont à respecter : âge de mise au pâturage, gestion du parasitisme, gestion du parcellaire des génisses…
La croissance compensatrice, c’est quoi ?
Les jeunes bovins, et particulièrement les 12-18 mois, ont la capacité de gagner en croissance après des périodes de croissances plus lentes. Ce phénomène est appelé croissance compensatrice. Il s’exprime d’autant mieux que le pâturage des génisses est maîtrisé. L’herbe est un aliment très équilibré, lorsqu’elle est consommée au bon stade par les animaux. Ce principe est vrai pour les vaches comme pour les génisses.
Les génisses sont capables de passer d’une croissance faible, autour de 600g/j de GMQ l’hiver, à 1000g/j de GMQ au plus au pâturage avec une herbe de qualité. Attention cependant, ce phénomène est moins marqué sur des génisses à croissance forte pendant la période hivernale : si la croissance était autour de 800g/j – 900g/j, elle sera relativement proche au pâturage.
Lors d’une année où le fourrage récolté serait de moins bonne qualité et/ou que le coût des concentrés viendrait à augmenter, le pâturage des génisses s’avère être un réel levier pour pallier aux difficultés de croissance pendant la période hivernale.
A quel âge commencer le pâturage des génisses ?
La sortie des génisses est possible dès l’âge de 6 mois (et/ou autour de 180 à 200 kg de poids vif). Autrement dit, autour de mars/avril pour des génisses nées d’avril à novembre de l’année précédente ou en juin pour les génisses nées de décembre à mars.
Une sortie à 4 mois d’âge est toutefois possible pour les génisses nées en fin d’hiver et au printemps si les conditions le permettent : présence d’un abri, météo/climat favorables, complémentation à disposition (fourrages secs et concentrés). Ces précautions sont à respecter pour éviter une pression parasitaire trop importante sur des jeunes animaux dont le système immunitaire ne serait pas encore suffisamment armé.
Sortir les génisses autour de 6 mois c’est assurer un bon compromis entre l’éducation précoce des génisses à consommer de l’herbe et la gestion du développement de l’immunité parasitaire.
Quel que soit l’âge de première mise en pâture, il est indispensable de faire une bonne transition : distribution de fourrage sec à volonté au parc et sous abri le premier mois avec une diminution progressive sur 2 à 3 semaines de la ration hivernale. La transition ne sera pas indispensable pour des génisses en 2ème année de pâture, mais la mise à disposition d’un fourrage sec à volonté et sous abri reste conseillée.
Génisse au pâturage et parasitisme : quelques conseils.
Au pâturage, la génisse va inévitablement rencontrer toutes sortes de parasites internes : Strongles digestifs et respiratoires, Grande Douve, Paramphistome… Pour certains de ces parasites, principalement les strongles, le développement de l’immunité des animaux va s’avérer efficace pour les combattre. Tout l’enjeu du pâturage des génisses repose donc sur la maîtrise du parasitisme : assurer assez de contact avec les parasites pour favoriser le développement de l’immunité sans pour autant générer une trop forte infestation qui provoquerait des pertes de croissances ou des maladies.
Développer une immunité contre les strongles digestifs et respiratoires
L’immunité face aux strongles respiratoires apparaît 2 à 3 semaines après contact mais dure peu de temps. Pour les strongles digestifs, elle apparaît 2 à 3 mois après contact mais il faut 8 mois de contact régulier pour acquérir une immunité solide (Source : Institut de l’élevage, 2013)
L’immunité s’entretient par des petites infestations régulières. Attention, des traitements mal adaptés et trop répétés ne permettent pas l’installation d’une bonne immunité. Un traitement est souvent nécessaire en première année de pâture pour installer l’immunité sans préjudice mais l’est beaucoup moins en deuxième année, sauf présentation de symptômes. Parlez-en avec votre vétérinaire, il saura vous conseiller !
De façon générale, les pratiques autour du pâturage des génisses et les conditions de milieu influencent grandement la contamination des pâtures et l’infestation des animaux. Voici quelques conseils :
- Eviter au maximum le surpâturage, le mélange des générations et rester vigilant lors de printemps humide et doux → facteurs augmentant les risques
- Favoriser la rotation des animaux, préférer les nouvelles pâtures ou les parcelles fauchées et proposer de l’affouragement au pâturage.
Grande Douve et Paramphistome
L’immunité des animaux est malheureusement moins efficace contre la Grande Douve et le Paramphistome. La Grande Douve est un parasite des canaux biliaires et du foie ; le Paramphistome est quant à lui un parasite du rumen.
L’infestation peut se faire à tout âge, sur les animaux jeunes comme les adultes. Les risques d’infestation sont plus élevés sur des parcelles humides ou en cas de surpaturage pendant une sécheresse.
Pour plus de précisions : “Connaître et gérer les parasites sur vos pâturages. Guide pratique de l’éleveur” Institut de l’élevage, sept. 2004
Comment gérer les parcelles et la pousse de l’herbe avec les génisses ?
Quel type de parcelles pour quelles génisses ?
Les génisses sont souvent les animaux que l’on emmène pâturer sur les parcelles les plus éloignées ou les moins accessibles. Attention toutefois à la qualité des parcelles selon les années de pature. Par ailleurs, tous les types de prairies peuvent être exploités par les génisses, qu’il s’agisse de prairies permanentes ou artificielles.
De façon générale, il est préférable de disposer d’un parcellaire différent entre les génisses de première année et de deuxième année de pâture.
En première année, la valeur de l’herbe est très importante pour maximiser la croissance des animaux. Il faudra donc veiller à privilégier des parcelles de qualité, disposant d’abris ainsi que de bonnes clôtures pour garantir un bon apprentissage du plein air.
En seconde année, la qualité de l’herbe mise à disposition est moins importante car la capacité d’ingestion est plus élevée et les besoins en énergie sont proportionnellement plus faibles. Les génisses sont alors capables de valoriser des prairies de moins bonne qualité, sans perdre en croissance pour autant.
Quel chargement et type de pâturage pour les génisses ?
Le chargement des parcelles est à raisonner en fonction de la saison et du type d’animaux à faire pâturer. Les principes sont les mêmes que pour les vaches laitières :
- Privilégier un chargement élevé au printemps lorsque la pousse de l’herbe est à son maximum. A noter : au printemps, l’ingestion d’une génisse est environ de 2kgMS par 100kg de poids vif.
- Augmenter les surfaces offertes en été pour pallier la baisse de disponibilité de l’herbe et l’augmentation des besoins des génisses.
Comme pour les vaches laitières, il est préférable de réaliser un pâturage tournant pour les génisses afin d’optimiser la pousse de l’herbe et d’offrir une herbe de qualité et au bon stade tout au long de la saison. Les performances de croissance en seront d’autant meilleures et les risques parasitaires seront mieux maîtrisés. Voici un exemple de système de pâturage tournant simplifié, adapté pour les génisses : 4 parcelles de 7 jours, assurant un temps de repousse de 21 jours pour chacune des parcelles.
Voici quelques repères de chargement fournis par l’Institut de l’Elevage (2013) :
Exemple de repères de surface en ares par génisses (rendement estimé de la prairie 5 à 8 TMS/ha
Printemps | Été | |
Par mois d’âge | 1,1 à 1,7 ares | 1,4 à 2 ares |
Par génisse présente de 1ère année (~9 mois) | 10 à 15 ares | 13 à 18 ares |
Par génisse présente de 2ème année (~18 mois) | 20 à 30 ares | 25 à 36 ares |
Remarque :
Dans le Jura, beaucoup de génisses sont amenées à pâturer des communaux dont les rendements sont bien inférieurs aux 5-8 TMS/ha des références (plutôt 3TMS/ha en moyenne). Dans le cas des communaux, il est préférable d’ajouter 10 ares par génisses aux surfaces de références pour compenser l’écart de rendement. Pour une génisse en première année de pâture (environ 9 mois) il faudra alors 20 à 25 ares au printemps et 23 à 28 en été.
Exemple concret : Pour un lot de 15 génisses de 18 mois avec une bonne prairie, il faut, pour être autonome, 15 x 35 ares soit 5,25 ha. Pour mettre en place un pâturage tournant, je réalise 4 parcelles 5,25 ha / 4 = 1,3 ha. Les génisses resteront, l’été, 7 jours par parcelles (Source : CA Nord-Pas-de-Calais)
Le pâturage des génisses présente donc un réel atout pour leur croissance. Bien maitrisé, il permet d’assurer un bon développement de la génisse et de son immunité mais aussi d’optimiser la pousse et la qualité de l’herbe. Pour assurer cette réussite, il est nécessaire d’apporter du soin dans le choix des parcelles dédiées aux différents lots de génisses et de les suivre en cours de saison de pâturage. Le temps investi au pâturage sera gagné pour l’hivernage suivant.
Lucie BLANC, Conseillère technique d’élevage – Spécialisée Pâturage
lucie.blanc@evajura.com
Témoignages d’éleveursPropos recueillis par Florian Anselme, Responsable Innovation et Relation filière, Animateur des Groupes Génisses chez EvaJura. |
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GAEC des Malrochers à Besain
Le GAEC des Malrochers à BESAIN affiche un âge au vêlage de 29 mois sur la dernière campagne et des croissances de 5.1cm de GMTP pour les 6-12 mois et de 2.4cm pour les plus de 12 mois. En août 2021, le Groupe Génisses de Plasne (une dizaine d’éleveurs) s’est réuni chez Victorien Reverchon pour qu’il lui présente son système de pâturage des génisses. Deux lots ont été particulièrement étudiés : les génisses à l’IA (15 à 20 génisses de 18 mois) et les génisses gestantes (15 à 25 génisses de 25 mois). Stéphanie Roy, sa conseillère, lui a présenté l’application Happygrass et grâce à l’enregistrement du planning de pâturage sur cet outil nous avons pu calculer les surfaces pâturées au cours de la saison, les temps de présence, de repousse et les rendements. Ces deux lots sont menés en pâturage tournant avec des temps de présence de 2 à 4 jours par parcelle. Ils valorisent des prairies type « communaux » avec un rendement d’herbe pâturée situé entre 2.5 et 3 TMS/ha.
Ce lot est sorti le 19/04/21. Il a tourné sur 56 ares par génisse jusqu’au 12/05 (15 animaux sur 8.5ha) puis 6 génisses ont été ramenées et 1 ha retiré ce qui fait une surface de 36 ares par génisse jusqu’au 06/06 (cycle de 24 jours). Enfin, avec les croissances plus faibles de juin/juillet, l’éleveur a dû rallonger le cycle (38 jours) avec quelques parcelles supplémentaires soit 9.3ha pour 22 animaux et donc 42 ares par génisse jusqu’au 15/07. Pour ce type d’animaux (génisses de 18 mois) et avec des prairies à potentiel correct (5 TMS/ha) on recommande 30 ares par génisse au printemps et 36 ares en été. Chez Victorien 6 ares par génisse supplémentaires ont été nécessaire mais c’est une performance de valorisation car le potentiel de ces communaux atteint, avec peine, les 3TMS/ha. Grâce à cette gestion, il a pu dégager 6 ha de fauche par rapport aux autres années.
Pour ces 15 à 25 génisses 82 ares par génisse ont été nécessaires du 19/04 au 15/05 puis 55 ares par génisse jusqu’au 08/06 et même 46 ares par génisse jusqu’au 08/07 (les mêmes 11.5 ha mais en passant de 15 à 20 puis 25 génisses). En juillet il a fallu remonter à 56 ares par génisse avec un cycle de 27-30 jours contre 24-26 jours au printemps. Quand on demande à Victorien quelles ont été les conditions de réussite de cette gestion, il déclare : « Il faut du temps d’observation car je viens les voir quasiment tous les jours, elles et leurs prairies ! Pour ce faire j’ai dû aménager 2.2km de réseau d’abreuvement pour gagner du temps sur la corvée d’eau mais je ne regrette pas. La proximité de ces communaux par rapport à la ferme joue aussi beaucoup, souvent j’y vais à vélo ». Et à la question « comment prends-tu la décision de changer les génisses de parcelle sans gaspiller d’herbe ? » Victorien répond avec un sourire : « quand je commence, en regardant la parcelle, à avoir envie de les changer, je les remets un repas de plus et c’est celui-ci qui me finit bien la parcelle et m’assure de belles repousses ». |
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GAEC des Charmois à Brainans
Changement de décor au GAEC DES CHARMOIS situé en Bresse jurassienne à Brainans. Damien Vichot est à la tête d’un troupeau d’une centaine de laitières et la suite. La suite, justement, il tente d’en tirer la meilleure croissance y compris au pâturage car avec 28 mois d’âge moyen au premier vêlage et des moyennes de croissance de 6.1cm de GMTP pour les 6-12 mois et 5.7cm pour les plus de 12 mois, il faut être organisé. Le groupe génisses d’une dizaine d’éleveurs du secteur de Bersaillin, emmené par leur conseiller Timothé Baudot et auquel Damien participe, s’est rendu dans les prairies du Gaec des charmois en avril 2022 pour constater les surfaces utilisées à tous âges. Damien pratique un pâturage tournant avec des temps de rotation entre 12 et 15 jours, sur des prairies temporaires à bon potentiel ce qui explique l’optimisation des surfaces utilisées ci-après. Une des clefs du système de pâturage et de bonnes croissances des génisses de Damien Vichot est de les habituer rapidement à pâturer une herbe de qualité (s’entend à 0.95 UFL et 18% de MAT). C’est pourquoi le lot des 11 génisses de 4-6 mois est mis à l’herbe dès le mois d’avril sur 1.1ha soit 10 ares par génisses et une rotation de 12-15 jours sur 2 parcelles. Un lot de 10 génisses de 8-10 mois tourne sur 2.5ha en 2 parcelles soit 25 ares par génisse et une parcelle de 2ha supplémentaire (soit 45 ares) est disponible en cas de croissance faible ou après la 1ere coupe. Un peu plus loin 6 génisses de 1 an sont sur 2 parcelles en alternance qui représentent 1.5ha (25 ares par génisse) et une 3e parcelle est disponible pour monter à 35 ares par génisse. 4.5ha sont mis à disposition de 10 génisses de 20 mois. Ces 45 ares sont au-dessus des recommandations pour cet âge et pour cause l’éleveur observe généralement des refus pour ce lot, un potentiel existe pour dégager quasiment 2ha sur cette parcelle ou ramener 8-10 animaux de bon gabarit. Enfin un lot de 10 génisses gestantes pâturent sur 40 ares par génisse puis 60 ares après la 1ere coupe. Dans cet exemple encore il y a un temps d’observation nécessaire et les parcelles sont situées relativement proches de la ferme, c’est la clef pour réussir ainsi que d’avoir une ou deux parcelles de « secours » y compris au printemps en cas de croissance d’herbe faible. |
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HappyGrass, un outil complet pour la gestion des prairies et du pâturageConduite des prairies et gestion du pâturageLe consortium HappyGrass est le fruit d’une collaboration entre plusieurs structures : L’Institut de l’Élevage (Idèle), les semenciers Cérience et Mas Seeds et quatre entreprises de Conseil Élevage : Conseil Élevage 25-90, GEN’IAtest, Eva Jura et Cantal Conseil Élevage. HappyGrass, votre assistant prairieBénéficiez d’une offre de service unique réunie autour de trois modules : Prairie, Pâturage et Parcelles. |
Sources :
Institut de l’élevage, 2013 – Guide pratique : Réussir l’élevage des génisses laitières, de la naissance au vêlage.
Chambre d’Agriculture Région Nord-Pas-de-Calais : Le pâturage des génisses laitières, toute une organisation.
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